Les « non-dits » familiaux, l’importance de parler, de dédramatiser

Madame Monique Roblin
psychologue clinicienne et psychothérapeute Service de Génétique Clinique –  CHU Rennes

Lorsqu’il y a une maladie génétique dans une famille, et en particulier le cancer, très souvent, on n’en parle pas, « on fait comme si » elle n’existait pas. C’est un secret, un tabou.

Ce silence renvoie à la crainte de la réalité même de la maladie dévastatrice voire mortelle pour certains et sur plusieurs générations. Il permet de protéger la famille, lieu considéré comme un refuge, un cocon et qui devient, avec le cancer, un lieu et un lien de mort entre les membres qui la constituent.

De toute façon, pour les générations précédentes, qu’il soit génétique ou non, le cancer, « on n’en parlait pas ». Il était vécu comme une « maladie honteuse », on ne prononçait pas le mot, c’était une malédiction. Etre malade, en plus de la souffrance, apportait son lot de culpabilité et de honte, et lorsqu’en plus, on se doutait qu’on transmettait à ses enfants cette malédiction, on préférait taire cette douleur.

Donc, on fait d’abord silence autour du cancer et cela finit par créer un secret, un tabou dans une tentative de préserver les liens familiaux et de pouvoir se dire : « tout va bien », « on est heureux d’être ensemble ».

Pourtant, certains tombent régulièrement malades et sur plusieurs générations. Mais chacun fait semblant de croire que « la vie continue normalement ». Le cancer constitue alors à la fois un danger, « une épée de Damoclès au-dessus de sa tête », et un « non-dit » : « tout le monde sait mais personne n’en parle ».

Cela devient un secret familial.

Cependant, l’ascendant malade vit dans la peur d’avoir transmis le cancer familial. La crainte, l’anxiété, l’angoisse sont à l’œuvre. Il ne peut pas en parler, pris entre la culpabilité, la honte et la peur d’être rejeté voire haï par ses enfants, ses proches, pour avoir donné la maladie mortelle. Il souffre d’abord dans son corps, faisant face à l’agressivité du cancer et des traitements. Il souffre psychologiquement car il doit faire face à sa responsabilité d’avoir pu transmettre et de dire ou pas : « c’est héréditaire ! »

Ses descendants font « comme s’il s’agissait d’un accident de la vie ». Ils refusent d’interroger la maladie, l’éventualité d’une transmission possible. On n’en parle pas pour éviter le drame de l’évidence : c’est génétique, cela se transmet.

Pour les générations précédentes, le tabou était renforcé par la difficulté de la médecine à repérer de façon scientifique le côté héréditaire de la maladie, et son impuissance à mettre en œuvre une prévention voire un soin. Alors pourquoi communiquer dans une famille sur ce qui est de l’ordre de la fatalité ? « On ne peut rien y changer ! »

Mais aujourd’hui, les avancées de la médecine permettent de faire un test génétique qui pour chacun va confirmer ou non la transmission du gène muté. Et, si nécessaire, une prévention et des soins médicaux peuvent être proposés.

Pour celui qui transmet la culpabilité et la honte sont toujours présentes. Comment faire autrement ?

Face à ces angoisses compréhensibles, face à l’enjeu pour ses proches : une possibilité de prévention et de soins médicaux rapides, la psychologue clinicienne du service de génétique est une ressource disponible.

Venir « parler » avec un tiers de ses difficultés à évoquer la maladie, son côté héréditaire, permet souvent de dédramatiser la situation. Evoquer ensemble la dynamique familiale, le ressenti des uns et des autres vis-à-vis du vécu de la maladie et la façon dont on peut en parler facilite ensuite la communication avec ses proches. Les entretiens sont également possibles en présence du conjoint non porteur de la mutation et/ou avec les enfants.

Lorsque les « non-dits » familiaux relèvent de l’interdit, du tabou, il est important de se faire aider par un professionnel.

Monique Roblin – Rennes 2013