Psychologie : l’accompagnement du patient au cours d’un parcours oncogénétique

Par Sébastien Teillout – Psychologue Clinicien – service Oncologie Médicale – CHRU Limoges

En avant propos, il semble assez important de rappeler que chaque patient s’inscrit et appartient à une histoire singulière et qu’il est défini étymologiquement comme étant « celui qui souffre ». Au-delà d’être un patient, ce dernier est avant tout un individu qui se définit selon 3 dimensions : une identité, une expérience de vie et une subjectivité. C’est à ce titre que chaque patient et donc chaque individu est singulier et différent.

La démarche oncogénétique va se décomposer en différents temps bien distincts et pour lesquels, un éventuel retentissement psychologique peut être opérant : l’orientation vers une consultation oncogénétique, la 1ère consultation (cf. : l’arbre généalogique, l’information sur la démarche, le consentement,  le prélèvement),  l’attente du résultat de l’analyse moléculaire, le rendu et enfin le suivi.

L’objectif de cette 1ère consultation va être de répondre aux patients qui, compte tenu de leurs histoires familiales, s’interrogent sur le risque qu’ils ont de développer à leur tour un cancer et de les informer des modalités de prévention et de dépistage adaptées. En d’autre terme, il va être question d’une évaluation du risque individuel qui peut impliquer par ailleurs les membres de toute une famille : qu’ils aient ou non un cancer. De par cette approche spécifique, l’oncogénétique devient une discipline qualifiée de médecine prédictive et/ou préventive.

De manière générale, on observe 3 profils de consultants pour lesquels il existe une échelle de risque très variable :

  • Des individus indemnes de toute pathologie, se croyant à tort ou à raison plus menacés que d’autres ;
  • Des individus indemnes (dénommés aussi « cas apparenté » ou « pré symptomatique ») appartenant à une famille frappée par le cancer, mais à haut risque de développer un cancer ;
  • Des individus déjà atteints (dénommés aussi « cas index »), dont le motif de consultation est parfois soit à leur demande soit à la demande d’un tiers.

Sur un plan psychologique, les principales motivations plus ou moins conscientes – inconscientes qui poussent les individus à réaliser le test génétique sont : la peur de la mort et/ou de la déchéance physique ainsi que la culpabilité du poids de la transmission.

L’élaboration de l’arbre généalogique mais aussi le fait de se positionner sur celui-ci, va être un temps particulier de la consultation  tant pour le patient que pour son entourage. Son élaboration va réactiver voire mettre au grand jour une histoire de vie à la fois personnelle et familiale, pouvant réactiver des blessures plus ou moins anciennes et traumatiques (les conflits, les ruptures, les secrets ou tabous, des deuils, le nombre de décès, la mise en évidence de ceux qui pourraient être « responsable de » ou pouvant devenir de « futur malade » …).

Il existe cependant un paradoxe concernant le test pré symptomatique :

  • Si le résultat est positif : la personne se retrouve dans une position d’individu en bonne santé, menacé par le savoir anticipé d’une maladie qui arrivera ou pas, sans avoir la possibilité de connaitre le moment de sa survenue à l’avance
  • Si le résultat est négatif : l’annonce de l’absence de mutation est accueillie bien évidemment avec beaucoup de soulagement. Toutefois, elle peut être vécue de façon négative. Car l’individu va devoir faire le deuil de « guérir du risque » qui peut prendre un certain temps, d’autant plus si ce dernier appartient à une fratrie où des individus sont porteurs du risque.

Tout au long de la démarche oncogénétique, le patient et son entourage va avancer à son rythme selon un chemin psychologique singulier parfois asymétrique : phase de sidération, de pleurs, de déni, de colère et de reproches, de culpabilité, d’hyper contrôle, de passivité, d’hyperactivité, …

Toutes ces manifestations sont dites normales et correspondent à des tentatives de contrôler l’angoisse de mort, qui surgit face à un avenir incertain et traumatisant. Afin de gérer cette angoisse, le patient va devoir mettre en place des mécanismes de défense qui s’avèreront plus ou moins adaptés et malléables et qui seront à respecter, tels que l’anticipation, le déplacement, l’isolation, la projection agressive, la rationalisation/intellectualisation, la régression, la sublimation/combativité, …

De façon générale, et non exhaustive,  l’accompagnement psychologique va consister à :

  • tenter de redonner du sens par:
    • l’évaluation de l’état émotionnel du patient et de son entourage
    • l’éclaircissement avec lui des enjeux que recouvre la démarche oncogénétique : ses motivations, ses représentations liées à la maladie, ses perspectives de projection dans un futur probabiliste de statut de risque (2 scenarios possibles : être porteur ou non du gène délétère), la notion de transmission héréditaire, l’impact du résultat sur sa vie future, …
    • l’évaluation de la compréhension des informations reçues
  • évoquer la dynamique familiale (ses modes de communication, les non-dits, les secrets, les tabous, les conflits voire les ruptures de lien)
  • travailler la transmission de l’information aux autres membres de la famille
  • discuter et explorer l’ensemble des différents domaines de la vie du patient qui serait la préoccupation du moment.

Recevoir une mauvaise nouvelle par un médecin est une épreuve psychologique, mais la retransmettre à l’ensemble de sa famille est au plus haut point sous le sceau d’un traumatisme chargé d’affectivité.
Comment trouver les bons mots ? Comment convaincre de réaliser un dépistage et une surveillance préventifs ?  Comment faire avec un choix de « non surveillance »?

Etre le messager de l’information au sein de sa famille, c’est prendre le risque de parler, d’être rejeté voire haï par ses proches. L’ensemble des patients relatent assez clairement le sentiment de honte, de culpabilités associées à un niveau plus ou moins élevé d’anxiété et d’angoisse.
Toutefois, il n’existe pas de bonne manière pour annoncer une mauvaise nouvelle. Cette démarche est singulière et libre, mais aussi est fonction de la circulation de la communication intrafamiliale.

La parution du Décret n°2013-527 du 20 juin 2013 relatif aux conditions de mise en œuvre de l’information de la parentèle dans le cadre d’un examen des caractéristiques génétiques à finalité médicale, vient poser un nouveau cadre réglementaire à la démarche oncogénétique soulevant à la fois de nouvelles questions éthiques, une obligation légale d’informer officiellement ses apparentés et l’introduction d’une harmonisation des règles de « bonne pratiques ».

Pour conclure, il est important de rappeler que la réalité biologique et le cheminement psychique se font rarement dans le même contexte de temporalité. Il apparait donc judicieux de prendre le temps d’avancer au rythme de chaque patient, à partir de ses capacités du moment, tout en tenant compte de ses limites. A défaut, le patient risque de consolider ses mécanismes de défense et de mettre involontairement en difficulté les professionnels et son entourage.

Par ailleurs, il est essentiel de souligner l’évidence, que chaque professionnel fait également appel à des mécanismes de défense, lesquels peuvent parfois conditionner voire mettre en danger psychique le patient et/ou la relation soignant-soigné.

 Sébastien Teillout – Service Oncologie Médicale – CHRU Limoges – 2014