Les cancers colorectaux à l’heure des thérapies ciblées

Pr Christophe Louvet (Service d’Oncologie Médicale, Hôpital Saint-Antoine, Paris)

Les thérapies dites « ciblées » constituent une évolution majeure de ces dernières années en cancérologie en général et en cancérologie digestive en particulier. Ces thérapeutiques sortent du cadre habituel de la chimiothérapie anticancéreuse, dont le principe consiste à détruire les cellules en voie de multiplication, pour entrer dans le domaine des cibles moléculaires à l’origine des proliférations tumorales. Les thérapeutiques  » ciblées  » devraient, au moins en théorie, avoir une spécificité d’action, dirigée contre les cellules tumorales par rapport aux cellules saines, contrairement à la chimiothérapie cytotoxique. Cette spécificité d’action permet d’obtenir un meilleur rapport efficacité / tolérance du traitement.

De nombreuses cibles potentielles sont en cours de définition et seront précisées ultérieurement avec comme arrière pensée la mise au point pour chacune des cibles individualisées d’un médicament ou d’une classe de médicaments spécifiquement dirigés contre les différentes cibles. Cette recherche ouvre un formidable champ de développement pour les années futures. Le nombre de médicaments potentiellement actifs devrait augmenter de façon exponentielle dans les années qui viennent.

Dans les cancers colorectaux métastatiques deux thérapies ciblées ont démontré leur efficacité en situation métastatique.

– Les molécules ciblées sur le récepteur EGF (Epidermal Growth Factor).
Ce sont : le cétuximab (ERBITUX®), l’erlotinib (TARCEVA®) et le gefitinib (IRESSA®).

 Un anticorps monoclonal anti-VEGF (Vascular Endothelium Growth Factor) :
le bevacizumab (AVASTIN®).

1- Les anti-EGF récepteurs
La prolifération des cellules (normales ou anormales) est sous la dépendance de nombreux facteurs propres à la cellule ou extérieurs à celle-ci. Parmi ces facteurs, l’EGF est un puissant stimulant de la prolifération cellulaire. Cette protéine se fixe sur un récepteur à la surface de la cellule cible ; cette fixation entraîne un signal intracellulaire qui déclenche une cascade d’évènements qui vont aboutir à la prolifération cellulaire. Le récepteur à l’EGF est présent sur pratiquement toutes les cellules, tumorales ou normales, mais il existe une  » surexpression  » souvent importante du récepteur à l’EGF à la surface des cellules tumorales et en particulier des cellules tumorales digestives ; ce qui en fait une cible séduisante en particulier pour traiter les cancers colo-rectaux.

Si les études cliniques ont montré que les anti-EGF récepteurs (essentiellement le cétuximab) étaient capables d’induire des réponses thérapeutiques chez des patients réfractaires à la chimiothérapie (deuxième ou troisième ligne de traitement) deux phénomènes demeurent difficiles à comprendre :

– la combinaison d’un anti-EGF récepteur à une chimiothérapie donne de meilleurs résultats que l’anti-EGFR seul, comme si ces molécules étaient capables de restaurer la chimiosensibilité d’une tumeur réfractaire. Il convient donc d’ associer ces anti-EGFR à une chimiothérapie, même si le patient était réfractaire à celle-ci.

– il n’existe pas de corrélation entre l’efficacité d’un anti-EGF récepteur avec le niveau de surexpression du EGF récepteur. On aurait en effet pu s’attendre à ce que plus la tumeur exprime des récepteurs à l’EGF à sa surface, plus les anti-EGF récepteurs seraient efficaces ; en fait les anti-EGFR sont possiblement efficaces quel que soit le niveau de surexpression. Ce qui permet de penser que la prescription de ces anti-EGFR pourrait tout à fait se justifier chez des patients qui ne surexpriment pas EGFR sur les cellules tumorales.

Utilisés à l’heure actuelle en troisième ligne thérapeutique, ils devraient prochainement trouver leur place dans le traitement de première intention des colorectaux métastatiques en association avec la chimiothérapie. Des études en cours s’intéressent également à la combinaison d’une chimiothérapie avec les anti-EGFR en situation adjuvante après une intervention chirurgicale à visée curatrice.

2- Les anti-VEGF
La croissance tumorale dépend de l’existence ou de la formation de vaisseaux sanguins à proximité.

Pour se développer la tumeur est obligée pour se nourrir de développer une vascularisation qui lui apportera les éléments nécessaires à sa prolifération. Il existe pour de nombreux cancers une corrélation forte entre la densité des micro néo-vaisseaux et l’évolution clinique. De nombreuses substances favorisent la création de ces néo-vaisseaux, en particulier le VEGF (Vascular Endothelium Growth Factor).

Les cellules tumorales sont capables de secréter du VEGF afin de favoriser leur propre développement. Les molécules anti-VEGF sont donc des molécules antiangiogéniques destinées à lutter contre la formation de nouveaux vaisseaux nourriciers des tumeurs.

Deux types de médicaments sont employés actuellement, des anti-VEGF récepteurs (molécules capables de  » bloquer  » le VEGF récepteur) mais surtout un anti-VEGF, qui capture le VEGF circulant sécrété par la tumeur pour l’empêcher d’aller se fixer sur le récepteur du VEGF au niveau des cellules endothéliales ; il s’agit du bevacizumab (AVASTIN®), dont le rôle est maintenant bien établi dans le traitement des tumeurs colo-rectales métastatiques.

En association avec une chimiothérapie, cet anticorps monoclonal a démontré une réelle efficacité en première ligne thérapeutique dans les cancers colo-rectaux métastatiques. 

Son efficacité est actuellement testée dans le cadre d’études cliniques en situation adjuvante après résection à visée curatrice de tumeurs non métastatiques.

Ces nouveaux médicaments ne sont cependant pas dénués d’effets secondaires.
Ils ne sont pas utilisables chez tous les patients, en raison de risque de toxicité accrus dans certaines situation (comme par exemple pour les patients sous anticoagulants, ou venant d’être opérés, où les anti VEGF ne doivent pas être prescrits).
De plus, leur coût est considérable par rapport à celui d’une chimiothérapie conventionnelle.
Ainsi, leur utilisation est-elle très sévèrement réglementée.
Leurs champs d’application devraient néanmoins s’étendre d’ici la fin de l’année 2005.

Devant les effets très prometteurs de ces médicaments, d’autres molécules des mêmes classes thérapeutiques (anti-EGF-r et anti-VEGF) sont en cours de développement, et permettront probablement d’encore accentuer les bénéfices thérapeutiques.

Christophe Louvet – Août 2005 – La Lettre 16 – HNPCC – Lynch – Septembre 2005