L’annonce de la maladie : une parole qui engage

Dr Isabelle Moley-Massol, psychanalyste et psycho-oncologue, Hopital Cochin, Paris

Le temps des premiers mots énoncés est unique, essentiel, fondateur, il marque à tout jamais l’imaginaire du malade et la relation médecin, malade, maladie.

Tous les témoignages l’affirment, l’annonce d’une maladie grave ou chronique reste gravée comme une terrible nouvelle, marquant la fin d’une vie ou la maladie était absente, impensable. Il n’existe pas de  » bonnes  » façons d’annoncer une mauvaise nouvelle, certaines sont toutefois moins dévastatrices que d’autres, et celui qui l’énonce est toujours oiseau de mauvaise augure, irrémédiablement lié au malheur qu’il désigne. L’annonce d’une maladie est souvent un traumatisme. Avant, il y a le doute, l’ignorance ou l’inquiétude, puis les mots tombent et le temps s’arrête, c’est la sidération. D’un côté l’annonce lève le doute et de l’autre, elle marque de façon indélébile l’avenir. Le futur devient soudain inimaginable.

Comment, pour le médecin, trouver les mots,
communiquer avec la parole, les gestes, le regard, sa présence à l’autre, dans l’instant et jusqu’au bout de l’histoire qui commence à s’écrire ? Comment , pour le malade, surmonter l’annonce, s’adapter, se reconstruire, donner un sens à ce qu’il vit, à ce qu’il ressent, penser un autre avenir, un autre projet de vie ? Il s’agit pour le médecin de ne pas figer l’avenir, devenu source de toutes les angoisses, et de prendre en compte les représentations que revêt la maladie ou le handicap, pour le malade et sa famille. Annoncer une maladie ou un handicap ne signifie pas  » lâcher  » l’information comme une sentence et s’en délester auprès du malade, mais au contraire diffuser une information adaptée, progressive, respectueuse du sujet, de sa demande et de ses ressources, une information qui crée le lien, ouverte sur l’échange et qui aide le malade à trouver un sens à ce qui lui arrive, sans honte ni culpabilité, et d’ouvrir vers un devenir, toujours porteur d’espoir, d’un espoir réaliste. Les enjeux de l’annonce d’une maladie sont essentiels, ils impliquent la vision du patient de sa vie à venir, de sa  » valeur « , de son sens. L’occasion est donnée là, unique, d’inscrire la relation dans la confiance et d’influencer ce qui va suivre, qui reste à bâtir et à vivre. Si le malade, sidéré par la nouvelle, n’entend plus ce qui lui est dit après l’annonce de sa maladie, s’il oublie les paroles, les explications, les rationalisations, il retient à tout jamais la musique, l’air, de ce qui lui fut communiqué. Quelque chose de sacré se joue au moment de l’annonce, dans les rapports qui unissent médecin, malade et maladie.

Bien dire, c’est d’abord écouter

Mais :  » Qu’est-ce qu’une mauvaise nouvelle ? « . La réponse paraît faussement évidente. Elle est individuelle, singulière, subjective, elle appartient au sujet et à lui seul. C’est au médecin de s’adapter à la subjectivité du patient, sans a priori ni jugement de valeur.
Au-delà des compétences techniques, primordiales, le malade demande au médecin d’être reconnu dans toute sa réalité de sujet, dans son être tout entier, et non pas seulement en tant que malade (personne ne pouvant se résumer ou se réduire à sa maladie), entendu dans sa perception individuelle de la maladie, et d’accuser réception de ses peurs et ses souffrances. C’est en partant du point de vue du patient que le médecin peut adapter son discours et permettre l’échange. Bien dire, c’est d’abord écouter.

L’annonce, l’information, la communication sont des processus continus, jamais figés, jamais finis, qui évoluent et se construisent dans la rencontre de deux individus, un médecin et un malade, et au fil de l’histoire de la maladie. La relation au patient, la pratique de la médecine, la façon de la penser, de la vivre, d’y croire, reste avant tout un art individuel, à travers lequel chaque médecin s’exprime et exerce Sa médecine. Mais c’est d’abord à lui-même que le médecin doit annoncer une mauvaise nouvelle, celle d’une maladie qu’il ne pourra pas guérir, d’une récidive, de complications imprévues. Il doit parfois renoncer à son pouvoir de thérapeute capable de vaincre la maladie, accepter son impuissance technique, mais rester conscient de sa force en tant qu’être humain, instigateur d’une relation avec le malade, porteuse de soins. Le médecin, et tout professionnel intervenant auprès du malade, apportent une compétence qui appartient à la fois au champ scientifique et technique et au champ humain et social.

Il s’agit pour le médecin d’établir une relation sincère et authentique, d’ouvrir vers un devenir possible, dans un espoir réaliste, d’être présent à l’autre dans son attente humaine, et de faire vibrer la vie, le désir de vie.

Extrait du livre :  » L’annonce de la maladie. Une parole qui engage  » Dr Isabelle Moley-Massol Le pratique, DaTeBe Editions Le Dr Isabelle Moley-Massol est également l’auteur de « Le malade, la maladie et les proches », Isabelle Moley Massol, Archipel 2009″La relation médecin malade. Enjeux, pierres et opportunités », Isabelle Moley Massol, Datebe 2007

Dr Isabelle Moley-Massol La Lettre HNPCC n° 12 – mars 2004 (mise à jour Mai 2009)