Les mots pour le dire

Docteur Isabelle Moley-Massol – psychanalyste et psycho-oncologue, Hopital Cochin, Paris

    L’acte de communication fait partie intégrante du rôle des soignants et les malades sont de plus en plus nombreux à revendiquer le droit moral, mais aussi éthique et légal, de connaître toute information les concernant, s’ils le désirent, et le praticien ne peut, lui, invoquer son droit de ne pas communiquer (cf référence des Etats généraux des malades atteints de cancer).

La vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?
Toutefois la démarche qui consisterait à révéler brutalement un diagnostic, sans réflexion, de façon systématique, sans tenir compte de l’individualité du sujet malade, de son identité, de son histoire, de sa culture, de son environnement, et surtout de son désir, est inacceptable. Le problème posé aux soignants est moins  » faut-il dire ou non la vérité au patient ?  » mais « s’il n’y a que la vérité qui peut être dite, jusqu’où aller dans la révélation de cette vérité et comment ?  »

La parole du médecin est une parole vraie, qui l’engage.
Elle devrait être guidée par un principe déontologique bien connu « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information simple, accessible, intelligible, loyale et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose »(1). L’annonce d’une affection chronique, d’une maladie grave, d’un handicap, revêt des paradoxes : il convient d’annoncer une  » mauvaise nouvelle « , mais dans le même temps de donner en retour un sens aux symptômes, jusque là sources d’interrogations angoissantes.  » Il s’agit d’annoncer une maladie grave mais pour mieux donner forme à  » ce avec quoi il va falloir apprendre à vivre  » ou  » ce contre quoi il va falloir se battre  » (2).
Il importe de parler des traitements possibles, de leurs implications, des éventuels aménagements de vie, du travail, des relations familiales, de désigner un proche qui saura soutenir le malade et relayer l’information. Mais au-delà des informations techniques, scientifiques et rationnelles, il s’agit de favoriser l’écoute, le dialogue et l’échange en restant très attentif aux représentations et aux croyances de chacun. La représentation de la maladie varie considérablement en fonction des patients, de leurs cultures et des caractéristiques de l’affection, visible ou invisible, source de symptômes ou silencieuse, fonctionnellement limitante ou non. br>  » Si le médecin bride la relation de soin en la réduisant aux seules discussions sur le traitement et ses modalités, cette ouverture à la réciprocité ne sera évidemment pas possible  » (2)

Dire une mauvaise nouvelle, c’est transmettre des informations qui vont bouleverser la vie du malade et celle de son entourage, provoquer une réaction émotionnelle qui nécessite une disponibilité suffisante. Il s’agit de partager un fardeau, mais non pas seulement au moment de l’annonce, mais dans la durée. L’engagement du médecin se situe à cette place précise, aux côtés du malade face à la maladie, tout au long de la maladie. Il faut beaucoup d’écoute, d’empathie, de temps pour que le médecin pénètre l’univers du patient et passe avec lui un contrat, une alliance, pour l’avenir.

L’annonce d’une mauvaise nouvelle : le deuil du projet de vie qui se franchit pas à pas

1. Le choc, la sidération : il n’y a plus de place pour le rationnel. Le message technique ne passe pas.
2. Le déni : protection psychologique, dans un premier temps.
3. La révolte :  » ce n’est pas juste ! « ,  » qu’est ce que j’ai fait pour mériter cela ?  »
4. Le marchandage : la maladie est discutée, parlée. Les sentiments sont multiples, contradictoires.
5. La tristesse et parfois la dépression.
6. L’acceptation : la communication, la discussion, l’échange sont plus que jamais les soutiens indispensables au patient.

Préparer l’avenir
Le patient attend de son médecin qu’il l’aide à mettre de l’ordre dans ce trouble et à lui donner du sens, et qu’il propose une marche à suivre pour l’avenir. A ce stade l’alliance passée entre soignants et malade est déterminante. Le patient a besoin d’être accompagné et écouté pour préparer son avenir. Le rôle de soutien du médecin ne s’arrête pas à l’issue de l’annonce de la mauvaise nouvelle. Cette étape marque le début d’un nouvel échange, d’une relation nouvelle, d’un contrat entre deux individus qui vont repenser la vie du malade et élaborer un futur. Le médecin s’adresse à la personne non plus en tant que  » patient « , mais en tant que partenaire de soins pour construire ensemble un nouveau projet de vie (3).

Les règles d’or de l’annonce :
– une information progressive, pas à pas – une information cohérente – une information adaptée à chaque patient et à sa demande – une information répétée
Le Dr Isabelle Moley-Massol est l’auteur de 3 livres « Le malade, la maladie et les proches », Isabelle Moley Massol, Archipel 2009″ La relation médecin malade. Enjeux, pierres et opportunités », Isabelle Moley Massol, Datebe 2007 « L’annonce de la maladie, une parole qui engage », Isabelle Moley Massol, Datebe 2004

Dr Isabelle Moley-Massol – Article du 09/03/03 (mise à jour mai 2009)

(1) code de déontologie médicale, Titre II (Devoirs envers les patients) art.35 (2) Dr Patrick Alvin  » L’annonce d’une maladie chronique à l’adolescence  » In Espace éthique la Lettre15-16-17 Hiver 2001-2002 (3) d’après Robert Buckman  » S’asseoir Pour Parler  » InterEditions 1994 – Fritz Zorn  » Mars  » Paris, Gallimard 1979 – F.R. Zimmermann  » Comment annoncer une mauvaise nouvelle ?  » www.meditorial.ch/plus/5.htm – d’après Suzy Soumaille  » Interview  » de Joëlle Wintsch www.construire.ch/sommaire/9749/49socie2.htm