Annoncer à son enfant le cancer d’un parent

« La plus grande partie de l’éducation d’un enfant est orientée vers la vie, ce qui le laisse impuissant face à la mort. Une telle négligence est inexcusable et ne se justifie pas. » Budmen, 1969

Chaque famille a été ou sera confrontée à un moment donné au dilemme d’avoir à annoncer la maladie ou le décès d’un parent à ses propres enfants. Généralement et dans l’ordre des choses, un grand-père ou une grand-mère. Mais dans nos familles et dans bien d’autres hélas, le cancer peut frapper sans hiérarchie et anéantir l’ordre établi. Quand nous étions petits, nous avons peut-être été victimes de secrets, de non dits sur la maladie d’un proche. Surtout si cette maladie grave était un cancer. Mot totalement tabou il n’y a pas si longtemps et qui le reste parfois de nos jours. Les causes de la maladie n’étaient pas divulguées et nous étions de plus tenus à l’écart de la personne touchée. Ceci dans l’idée de nous protéger en tant qu’enfant.

L’enfant
L’enfant confronté à un parent en souffrance et en absence d’échange, ne vit pas forcément ce secret comme une protection. Au contraire, il peut s’inventer plusieurs sortes d’explications à la situation, dont la plus courante et redoutable sera c’est de ma faute. Comme rien n’échappe à l’enfant des modifications physiques de son parent ou des moindres changements dans l’organisation du quotidien, sa deuxième réaction pourra être mon père / ma mère a fait quelque chose de terrible, c’est pour çà qu’il a changé, qu’il est triste et souvent en colère. Il peut aussi s’inventer une troisième explication : Mon parent me dit qu’il ne me cache rien, mais j’ai l’impression que ce n’est pas vrai…. Je n’y comprends rien.

« Si des mots ne sont pas prononcés, si la maladie n’est pas nommée, l’angoisse, la culpabilité, le sentiment de vulnérabilité et d’abandon envahissent l’enfant et sont susceptibles d’entraîner de graves retentissements qui ne s’expriment parfois qu’à l’âge adulte, à la suite d’évènements fortement impliquants pour le sujet : un mariage, une séparation, une première expérience sexuelle, l’entrée dans la vie active, un licenciement, un déménagement, etc ».*

Souvenez-vous du choc en entendant le diagnostic que vous étiez porteur d’un cancer et que celui-ci pouvait être transmis à vos enfants ! Une véritable bombe. Avant de comprendre ce que cela voulait dire il a fallu du temps. Beaucoup de temps. L’acceptation éventuelle est passée par l’incompréhension de ce qui vous arrivait. Angoisse, désorganisation, colère, injustice, tristesse, peur… L’annonce d’un cancer revient encore dans les mentalités à annoncer la mort imminente ; mais il faut changer ces mentalités car de nos jours de plus en plus de cancers sont guéris – définitivement. Dans les familles HNPCC, vous le savez maintenant, après analyses génétiques, il est recommandé aux membres porteurs du gène muté d’effectuer des coloscopies tous les deux ans et des examens gynécologiques chez les femmes tous les ans, évitant ainsi des issues fatales.

L’annonce de la maladie cancéreuse reste de toute manière un moment traumatisant pour tous les membres de la famille. Qu’est ce que l’enfant va comprendre de la maladie de son parent et de ses conséquences ?

Le mieux est d’agir toujours avec prudence. Une attention adaptée doit être préconisée. Dire ce que l’ont sait en douceur, mais en essayant d’utiliser des mots qui peuvent être compris. Il est important de laisser place aux questions de l’enfant qui doit se sentir autorisé à en poser.
Paroles d’un psychanalyste : « on s’aperçoit alors de quelque chose de formidable : l’enfant pose les questions au fur et à mesure qu’il est prêt à recevoir la réponse…. » **

Pré adolescents et ados
Pour l’adolescent, les réactions ne sont pas les mêmes. Avant d’avoir une information plus précise sur la maladie grave du parent, il aura déjà une idée personnelle sur le cancer par la télévision et peut-être en cherchant sur internet. Selon lui, un cancer aboutira inéluctablement à un risque de mort pour son parent. Il faudra parler des origines de la maladie et notamment de sa non contagiosité, des effets attendus des traitements, tout particulièrement de ceux de la chimiothérapie avec la perte des cheveux, toujours impressionnant et dévalorisant pour le parent. Il faudra bien expliquer qu’ils repousseront. Les traitements peuvent avoir d’autres effets secondaires plus ou moins importants mais pas systématiques tels que nausées, douleurs et fatigue. Ils dépendent du type de cancer, des traitements reçus, des doses administrées et de la réaction de chacun. D’ailleurs dès qu’ils commencent à agir, la plupart des malades se sentent mieux. Les effets secondaires sont temporaires et disparaissent généralement après la fin des traitements.

« L’équipe des soignants peut aider le parent malade à échanger avec son enfant et à sortir d’un isolement insoutenable pour tous. Il s’agit pour le parent de mettre des mots sur des émotions, des ressentis, des difficultés, de dire son amour et d’entendre ce que l’enfant souhaite dire, et non pas de tout « déballer », sans considération pour la demande implicite de l’enfant et les besoins de son âge. La parole est émise et reçue de la place occupée par chacun et en fonction des rôles respectifs. Les parents expriment souvent le besoin d’être aidés par l’équipe médicale au moment d’informer l’enfant de leur maladie. Ils souhaitent, dans une certaine mesure, partager la responsabilité de la parole énoncée. Le médecin ne doit nullement se substituer aux parents : il se place en soutien de la parole parentale. Il est un médiateur possible, un facilitateur de la communication entre l’enfant et le parent malade. L’enfant informé ne se sent plus exclu de l’histoire de la maladie de son parent et donc de sa propre histoire. Même si la maladie grave modifie les repères relationnels familiaux, la relation parent-enfant peut continuer à exister, riche et fondatrice, dès lors que l’authenticité des échanges domine. L’enfant peut s’en trouver renforcé, plus fort d’une réalité assumée, qui l’aidera à grandir et à préparer l’avenir. Car enfin, le père ou la mère malade ne saurait se réduire à un corps meurtri, diminué, abîmé. La fonction parentale est une fonction de relation fondée sur une reconnaissance des places mutuelles, un respect individuel et une authenticité des échanges. Le langage qui supporte la souffrance partagée de la maladie est seul susceptible de maintenir la relation entre l’enfant et son parent malade »*

extraits des ouvrages ci-dessous :
* « L’Annonce de la Maladie : une parole qui engage » Dr Isabelle Moley-Massol, psycho-oncologue – Le Pratique, DaTeBe Editions ** « Vérité et mensonges de nos émotions » Serge Tisseron, psychanalyste – Albin Michel *** « Maman a un cancer… Vécu de l’enfant et essai d’accompagnement psychologique en milieu hospitalier » mémoire présenté par Amélie Javaux, ULG, Université de Liège – http://www.cdrnfxb.org/pdf/these/Javaux.pdf

Diane Julhiet La Lettre HNPCC n° 19 – septembre 2006