Estimation des risques tumoraux dans le syndrome de Lynch – Résultats de l’étude française ERISCAM – Mise à Jour 2010

Dr Valérie BONADONA, Unité Clinique d’Oncologie Génétique & CNRS UMR 5556 Unité de Prévention et Epidémiologie Génétique, Centre Léon Bérard, Lyon (Tours Oct 2010)

Le syndrome de Lynch, encore appelé syndrome HNPCC (Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer) est la prédisposition héréditaire au cancer colorectal la plus fréquente, expliquant 3 à 5 % des cancers du côlon et du rectum. Se transmettant sur un mode autosomique dominant, elle est liée à la présence d’une mutation constitutionnelle d’un gène MMR (MisMatch Repair) ; principalement les gènes MLH1, MSH2 et MSH6, impliqués dans la réparation des mésappariements de l’ADN lors de la réplication. Caractérisé par un large spectre tumoral (« spectre HNPCC »), le syndrome de Lynch confère des risques élevés de développer un cancer colorectal et de l’endomètre, et des risques plus modérés de développer un cancer de l’intestin grêle, des voies excrétrices urinaires, des voies biliaires, de l’estomac et de l’ovaire.

Il est essentiel de connaître précisément les risques tumoraux pour chaque localisation du spectre HNPCC afin de conseiller au mieux les patients et leur famille et de déterminer la prise en charge optimale à leur recommander. Beaucoup d’études publiées dans la littérature ont surestimé les risques de cancer dans le syndrome de Lynch car les méthodes de calcul utilisées n’ont pas tenu compte de la sélection des familles sur de multiples cas de cancer (risques « biaisés », plus élevés que les risques réels). Quelques études récentes ont une approche méthodologique adéquate mais elles portent sur un petit nombre de familles, soulignant la nécessité de conduire de plus vastes études.

Sous l’impulsion des docteurs Catherine Bonaïti, Christine Lasset, Sylviane Olschwang et Sophie Grandjouan, une étude nationale multicentrique a été réalisée, avec pour objectif d’estimer de façon fiable et précise les risques des différentes tumeurs chez les sujets porteurs d’une mutation d’un gène MMR, en utilisant une méthode statistique corrigeant le biais de sélection des familles (Carayol et Bonaïti-Pellié, 2004). Il s’agit de l’étude ERISCAM (Estimation des RISques de CAncer chez les porteurs de mutation des gènes MMR) rassemblant les données de 537 familles françaises avec une mutation d’un gène MMR identifiée (248 familles avec un gène MLH1 muté, 256 avec MSH2 muté, 33 avec MSH6 muté) et recrutées par les 40 centres de consultation d’oncogénétique participants à l’étude, tous membres du Groupe Génétique et Cancer.

Les risques de cancer qui sont présentés dans l’étude ERISCAM sont des risques cumulés en fonction de l’âge, appelés « pénétrances », concernant une personne âgée de 20 ans (risques de développer un cancer au cours de la vie à partir de 20 ans). Ainsi, le risque cumulé de cancer colorectal à 50 ans correspond au risque de développer ce cancer entre 20 et 50 ans (au cours des 30 prochaines années) ; le risque à 70 ans correspond au risque de le développer entre 20 et 70 ans (au cours des 50 prochaines années). A noter que pour une personne plus âgée (> 20 ans), ce risque est plus faible car calculé sur une période de vie plus courte (on retranche au risque initial le risque correspondant aux années vécues en bonne santé).

Globalement pour l’ensemble des 3 gènes, le risque cumulé de développer un cancer du spectre HNPCC à 70 ans est estimé à : 45 % (Intervalle de confiance à 95% : 32-59) chez l’homme et 54 % (41-70) chez la femme. Le risque de cancer colorectalà 70 ans est de 38 % (25-59) chez l’homme et 31 % (19-50) chez la femme. Chez cette dernière, le risque de cancer de l’endomètre à 70 ans est de 33 % (16-57) et le risque de cancer de l’ovaire à 70 ans de 9 % (4-31). Les risques cumulés à 70 ans des autres localisations sont de 1,9 % (0,3-5,3) pour les voies excrétrices urinaires, 0,6 % (0,2-1,3) pour l’intestin grêle, 0,7 % (0,1-6 %) pour l’estomac et 0,6 % (0,07-2) pour les voies biliaires.
Les risques sont différents en fonction du gène muté, avec des risques plus faibles pour MSH6 en comparaison de MLH1 et MSH2. Les risques cumulés de développer un cancer du spectre HNPCC à 70 ans sont pour MLH1 et MSH2, respectivement de 59 % (44-79) et 57 % (38-78), contre 25 % (17-41) pour MSH6.
Les risques cumulés de cancer colorectal à 50 ans sont pour MLH1, MSH2 et MSH6 respectivement de 14% (8-27), 20 % (13-30) et 3% (2-6) et les risques correspondants à 70 ans sont de 41 % (25-70), 48 % (30-77), et 12 % (8-22). Les risques de cancer de l’endomètre à 50 ans sont respectivement pour MLH1, MSH2 et MSH6 de 9 % (3-19), 8 % (3-21) et 3 % (1-8) et à 70 ans, de 54 % (20-80), 21 % (8-77) et 16 % (8-32) ; pour l’ovaire, les risques correspondants à 50 ans sont de 4 % (0-11), 4 % (1-9) et 0 % (0-1) et à 70 ans, de 20 % (1-65), 24 % (3-52) et 1 % (0-3).

ERISCAM est à ce jour la plus importante étude ayant estimé sans biais les risques de cancer dans le syndrome de Lynch. ERISCAM confirme des risques de cancer colorectal (CCR) plus faibles que ceux initialement publiés par les études ne tenant pas compte du biais de recrutement des familles.

Néanmoins, les risques de CCR associés aux mutations des gènes MLH1 et MSH2 justifient les recommandations actuelles de prise en charge, coloscopie tous les 2 ans dès l’âge de 20 ans. En revanche, les mutations du gène MSH6 sont associées à un risque de CCR notablement plus faible, ce qui plaide pour différer le début du dépistage par coloscopie vers 30 ou 35 ans (risque cumulé de CCR de 1% à 40 ans). ERISCAM a permis de mieux préciser les autres risques de cancer dans le syndrome de Lynch. Elle montre que les risques de cancer de l’endomètre et de l’ovaire à 70 ans sont élevés pour les gènes MLH1 et MSH2, justifiant de proposer une hystérectomie et une ovariectomie prophylactiques, en l’absence actuelle d’examens de dépistage performant. Néanmoins les risques sont faibles avant l’âge de 40/50 ans (risque cumulé à 40 ans de 1-2 % pour l’endomètre et de 0-1 % pour l’ovaire), ce qui plaide pour réaliser une chirurgie préventive vers 45 ans (voire 50 ans). Les risques sont plus faibles pour MSH6 ce qui rend un geste prophylactique plus discutable.
Les risques des autres localisations sont faibles ne justifiant pas d’une prise en charge systématique.

Les résultats de l’étude ERISCAM vont contribuer à définir une prise en charge plus personnalisée chez les sujets concernés par le syndrome de Lynch.


L’ensemble des responsables et des investigateurs de l’étude ERISCAM tient à remercier vivement les patients et leurs familles pour leur précieuse contribution

Valérie Bonadona – Oct 2010