Place de l’anatomie pathologique dans le diagnostic du syndrome HNPCC

Pr. François Paraf, service d’anatomie pathologique
Centre Hospitalier Universitaire Dupuytren, 2 avenue Martin Luther King – 87042 Limoges

L’anatomie pathologique, encore appelée pathologie, est une spécialité médicale qui consiste en l’examen de prélèvements de cellules ou de tissus dans le but d’établir un diagnostic, ce qui permet ensuite d’effectuer un traitement approprié. Ces prélèvements peuvent être faits par exemple lors d’examens de surveillance ou de dépistage (frottis cervico-utérin), lors de l’exérèse d’une lésion cutanée (grain de beauté), d’un polype du tube digestif, ou lors d’une intervention chirurgicale.
Dans le cas d’une pièce opératoire, celle-ci va faire l’objet d’une description précise, éventuellement de photos, puis va être examinée au microscope. Ceci permet de porter avec certitude le diagnostic précis de la maladie en cause. S’il s’agit d’un cancer, l’examen anatomo-pathologique permet d’indiquer le  » type  » précis de ce cancer, son degré d’extension, ainsi que le caractère complet ou non de l’exérèse chirurgicale, éléments indispensables pour la décision d’un traitement complémentaire par chimiothérapie.

Le cancer colorectal héréditaire non polyposique encore appelé syndrome de Lynch ou syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer), se caractérise par une prédisposition génétique au développement de cancers colorectaux et d’autres tumeurs. Il est lié à une mutation germinale d’un des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN dont les plus fréquemment atteints sont MLH1 et MSH2, et plus rarement MSH6 et PMS2. Les malades atteints de ce syndrome ont un risque élevé de survenue de cancer du côlon du rectum et de l’utérus (endomètre), et un risque plus faible de survenue de cancers des voies urinaires hautes, des voies biliaires, de l’estomac, de l’ovaire et de l’intestin grêle. Le diagnostic du syndrome HNPCC repose sur les antécédents tumoraux personnels et familiaux, l’âge de survenue du cancer et certaines caractéristiques de la tumeur, qui ont ainsi permis de définir des critères diagnostiques largement utilisés dans le monde dont les principaux sont les critères d’Amsterdam et les critères de Bethesda.
Ces critères ont une spécificité élevée mais une sensibilité faible, et la preuve définitive du diagnostic repose sur l’identification d’une mutation constitutionnelle d’un des gènes atteints à partir d’un prélèvement sanguin.
L’anatomie pathologique intervient dans le syndrome HNPCC d’abord dans l’établissement du diagnostic de cancer, la détermination de son extension et de facteurs du pronostic, comme pour les autres cancers colorectaux. L’anatomie pathologique permet également de mettre en évidence certaines caractéristiques morphologiques du cancer colorectal pouvant orienter vers un syndrome HNPCC, d’affirmer ce diagnostic par la mise en évidence d’une instabilité des microsatellites dans la tumeur, et de guider la recherche de mutation germinale vers le gène atteint grâce à l’immunohistochimie
Dans le cadre du syndrome HNPCC, l’anatomie pathologique peut intervenir à plusieurs niveaux :
I – Réalisation d’un diagnostic précis des tumeurs qui sont opérées. L’examen anatomo-pathologique d’une pièce opératoire concernant une tumeur du côlon ou du rectum fait appel à des classifications internationales validées qui sont les mêmes pour toutes les tumeurs du côlon et du rectum.
Ces tumeurs se développent à partir de la muqueuse du côlon et du rectum et sont appelées  » adénomes « lorsqu’elles sont bénignes et  » adénocarcinomes «  lorsqu’elles sont cancéreuses. Ces adénocarcinomes sont de plus classés en fonction de leur degré de différenciation, c’est-à-dire de leur ressemblance avec la muqueuse colique normale, et aussi selon leur degré d’extension en utilisant le système TNM (Tumeur, N : Ganglion, M : Metastase) qui mesure le degré d’infiltration de la tumeur dans l’épaisseur de la paroi colique, le nombre de ganglions atteints et la présence ou l’absence de métastase.
Ces dernières indications sont importantes, car elles déterminent le pronostic de la maladie et les modalités de traitement qui sera fait après la chirurgie.

II – Mise en évidence des caractéristiques particulières qui sont plus fréquentes dans les cancers colorectaux associés au syndrome HNPCC par rapport aux autres cancers colorectaux. Ces caractéristiques ne sont cependant ni assez spécifiques ni assez sensibles pour permettre, à elles seules, de porter le diagnostic de syndrome HNPCC, mais peuvent permettre de le faire évoquer :
* plus grande fréquence des cancers colorectaux multiples synchrones (survenant au même moment) ou métachrones (survenant au cours du temps)
* localisation plus fréquente à la partie droite ou transverse du côlon
* fréquence plus élevée de formes histologiques particulières, dites mucineuses, c’est à dire riches en mucus, ou dites médullaires c’est-à-dire peu différenciées avec importante inflammation dans la tumeur
* plus grande fréquence d’une réaction inflammatoire importante intratumorale ou situé à la partie profonde de la tumeur
* bonne limitation de la tumeur en profondeur repoussant les tissus voisins.

Les laboratoires d’anatomie pathologique utilisent aussi des techniques complémentaires à l’examen microscopique pour caractériser un cancer, parmi lesquelles l’immunohistochimie, qui permet de détecter de manière fiable la présence ou l’absence d’une protéine donnée dans des cellules. Le principe du test consiste à rechercher une perte de l’expression normale d’une ou plusieurs de ces protéines dans les cellules tumorales par rapport aux tissus normaux.
Les Protéines manquantes ou perte d’expression :
En effet, au cours du syndrome HNPCC, les individus atteints héritent d’un gène muté du parent atteint, et d’un gène non muté du parent non atteint. L’expression de la protéine correspondant au gène est maintenue dans les cellules par le gène non muté hérité du parent sain. Mais ce gène intact est inactivé pendant la croissance tumorale, ce qui aboutit à une disparition de la production de la protéine correspondante dans les cellules tumorales. On peut détecter actuellement la perte d’expression des 4 protéines MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2 à l’aide d’anticorps.
Cet examen n’entraîne pas de prélèvement supplémentaire pour le malade car il se fait directement sur un petit fragment de tumeur prélevé sur la pièce opératoire. Il peut être fait au moment du diagnostic de cancer, ou bien plus tard à l’occasion d’une enquête familiale lorsqu’on suspecte un syndrome HNPCC.
Le grand avantage de cet examen est de guider l’analyse génétique de mutation sur le gène correspondant à la protéine absente dans la tumeur. Cette technique n’est cependant pas d’une sensibilité parfaite car elle ne détecte pas la totalité des mutations et entraîne un faible pourcentage de faux négatifs : c’est à dire que le test est normal alors qu’il y a une mutation d’un des gènes HNPCC et instabilité microsatelite dans la tumeur.

Enfin, de plus en plus de laboratoires d’anatomie pathologique ont la possibilité de réaliser des analyses de biologie moléculaire parmi lesquelles la recherche de l’instabilité des microsatellites. Cette anomalie est aussi appelée phénotype MSI (MicroSatellite Instability) ou phénotype RER (Replication ErroR). Elle consiste en des variations de courtes séquences d’ADN qui sont présentes dans les cellules tumorales des cancers survenant dans le syndrome HNPCC. Mais on trouve aussi cette anomalie dans environ 15% de l’ensemble des cancers colorectaux en dehors de tout syndrome HNPCC, et on considère alors qu’elle est en rapport avec des phénomènes de vieillissement de la muqueuse du côlon. Là encore, la réalisation de ce test n’entraîne pas de prélèvement supplémentaire pour le malade car il se fait directement sur un petit fragment de tumeur prélevé sur la pièce opératoire et peut être réalisé au moment du diagnostic de cancer, ou plus tard lors d’une enquête familiale.

On considère actuellement que la mise en évidence d ‘une instabilité des microsatellites dans un cancer colorectal permet d’orienter vers un syndrome HNPCC.
Pr. François Paraf – CHU Dupuytren, Limoges – Septembre 2009